Boom... Un bruit sourd retentit au loin. Le jeune garçon se réveilla en sursaut, yeux grands ouverts. Le soleil l'éblouit et il dut fermer les yeux, le temps de s'habituer. Il y avait le sol sous ses doigts, une poussière qui restait collée à la peau, pleine de petits graviers. Il était allongé, dehors. Le vent doux qu'il sentait dans ses cheveux le lui confirmait. Il se redressa doucement, s'assit puis ramena les genoux vers lui en les encadrant de ses bras. Aucun oiseau ne chantait, aucun chien n'aboyait, seul le bruit du vent qui s'engouffrait dans l'impasse lui apprenait que le temps n'était pas figé.
Il ne savait pas depuis combien de temps il était là. Une minute ? Une heure ? Une journée ? Il ne se souvenait plus du moment où il avait atterrit ici, dans cette ruelle. Rien ne lui était familier, même pas son corps. Ses rares mouvements étaient saccadés, comme s'il ne maîtrisait pas cette morphologie qui était pourtant sienne. Il ne se reconnaissait pas. Il n'avait plus de souvenir. Même pas un nom. Il n'était personne. Il connaissait le nom de chaque chose qui l'entouraient mais il était incapable ne serait-ce que de prononcer un seul d'entre eux. Il restait prostré dans cette ruelle, contre le mur, le regard dans le vague.
Il y eut un claquement lointain. Comme une chaîne qui claque, comme le lance-pierre d'un enfant dont la lanière a été trop tirée et qui cède sous les doigts du gamin. Un bruit qui signifiait qu'il n'y avait pas que le vent en bruit dans ce monde. Ce simple constat suffit pour qu'il lève la tête, tentant de se redresser, se mettre debout, marcher.
Il y avait un empilement de carton à côté de lui, assez stable pour qu'il s'appuie dessus tant bien que mal. Il posa sa main dessus, ne voyant que maintenant à quel point sa peau était pâle, presque blanche, pure. Ses doigts se crispèrent alors qu'il prenait appui sur le fragile ensemble, le carton plia légèrement mais la boîte ne se déroba pas sous lui. Il réussit à décoller le coccyx, puis sa colonne se déroula, jusqu'à ce qu'il se retrouve debout. Ses jambes ne le portaient pas, il dût s'appuyer au mur pour ne pas tomber, les mains à plat sur la brique alors que tout tournait autour de lui.
Une sensation étrange le gênait, sa gorge était sèche et il lui semblait avoir besoin de quelque chose mais quoi ? En réfléchissant un instant, il réussit un mettre un mot dessus : il avait soif. Il devait trouver de l'eau, ce liquide si précieux à la vie. Mais l'air était sec, rien n'indiquait la présence de quoi que ce soit de potable. Mais il devait boire, il le savait.
Il resta encore là un moment, le temps que la terre arrête de tourner autour de lui. Il finit par souffler doucement puis prit une voix qu'il voulait assurée et forte, mais qui ressembla plus à une plainte en laquelle on ne met pas énormément de conviction.
-Je peux... le... faire !
Il détacha ses mains du mur et s'obligea à se redresser pour n'être plus que sur ses deux jambes. Il basculait un peu, pas sûr de son équilibre, et tenta d'avancer d'un pas. Il leva le pied doucement, s'appuyant sur l'autre, l'obligea à aller plus loin, le posa. Il fit de même pour l'autre, achevant son premier pas. Il soupira à la fois d'épuisement et de fierté envers lui-même. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était déjà ça.
Il voulut faire un autre pas mais trébuchât, tombant lourdement sur la hanche et se retrouvant à nouveau couché au sol. Il voulait se relever, il le devait. Sinon il ne pourrait plus marcher, il ne se réveillerait pas. Ses paupières tombaient toutes seules, il n'en pouvait plus, comme si ce simple pas l'avait vidé de ses forces. Sa gorge le brûlait, il tremblait, il avait le front brûlant. Il voulait marcher, aller plus loin, sortir de cette ruelle. Découvrir le monde.
Il sentit soudain quelque chose de frais sur sa joue, et rouvrit les yeux qu'il avait apparemment fermés sans le vouloir. Une autre goutte s'écrasa devant lui, formant une tâche foncée sur le sol. Bientôt suivie par d'autres, il observa un instant le ciel d'où semblait surgir ces petites étincelles qui reflétaient le soleil toujours présent. Il aurait voulu boire, ou au moins sentir le goût que pouvait bien avoir ces gouttes, mais il était fatigué. Il s'endormit sans même s'en rendre compte.
*°*°*
Aïku s'accouda à la rambarde. Il pleuvait et ses cheveux noirs étaient plaqués contre ses tempes, sa tunique lui collait à la peau. Il observait la ville devant lui, qui dans la fraicheur du soir paressait encore plus morte que d'habitude. Les bâtiments gris à moitié effondrés se battaient en duel pour voir lequel allait le plus haut, tandis qu'en contrebas quelques ombres bougeaient. Des hommes et des femmes, quelques enfants, qui luttaient pour survivre. On s'observait, méfiant, sur ses gardes, prêt à se défendre face à celui qui voudrait voler sa part de nourriture.
Le jeune garçon soupira et se redressa, avant de tourner les talons. Il s'approcha de l'escalier extérieur, qui s'enroulait sur lui-même jusqu'en bas, plia les jambes et bondit dans le vide. Il s'accrocha à la barre de l'étage du dessous, freina sa chute, se rattrapa une nouvelle fois, puis atterrit enfin au sol. Depuis tout petit il avait dût compter sur lui seul, et son corps svelte avait toujours été adapté aux acrobaties qu'il lui faisait subir.
Il se mit à courir, ignorant les gens qui le suivait du regard en espérant voir une trace de richesse sur lui pour le voler, et alla jusqu'à sa cachette. Oui il avait bien une trace de richesse sur lui, mais que personne ne pouvait voir car il la cachait bien. Dans ses bottines, il portait un couteau suisse. Relique de l'Ancien Monde, transmis de génération en génération jusqu'à ce que sa mère le lui lègue. Encore en très bon état. Il ne le sortait qu'à l'abri des regards, ne voulant pas qu'on la lui prenne tant cet objet lui était précieux. Il était la seule chose qu'il avait encore de sa mère.
Il arriva enfin où il le voulait. Au fond de cette impasse il y avait ce qui devait autrefois être l'arrière salle d'un restaurant ou quelque chose comme ça. Il n'était pas sûr, puisqu'il n'avait jamais vu ce que pouvait être cet endroit où l'on mangeait à sa fin, sans avoir à chercher quoi manger. Il avança de quelque pas, mais aussitôt sentit que quelque chose clochait. Mais quoi ?
Alors il entendit une légère respiration. Son ouïe était développée, et il entendait distinctement le souffle régulier de la personne qui était plus loin. Endormie, vu l'air tranquille et non saccadé... Il avança encore de quelque pas. Qu'est-ce qu'un humain faisait là ? Personne ne venait jamais ici, mis à part quelques chiens qui cherchait de quoi manger. L'endroit était trop dangereux, si on n'était pas aussi rusé que lui pour se sortir de mauvais pas. Cela ne lui disait rien de bon.
Enfin il le vit. Un garçon plus âgé que lui apparemment, une vingtaine d'années. Des cheveux étrangement blancs, une peau pâle. Grand et mince, habillé d'une façon inhabituelle, comme s'il venait de l'Ancien Monde. Un pantalon en toile bleue, qui semblait résistante, et ce que les gens d'avant appelait un tee-shirt, il lui semblait.
Il s'approcha de lui, mettant un genoux à terre. Le garçon semblait mal en point, et il était positionné comme s'il venait de tomber. Qui dormirait en plein milieu de la rue, comme ça ? A moins de ne pas vouloir aller dans l'un des refuges, comme ceux qui ne voulaient pas avoir à travailler et préféraient se débrouiller seul...
Aïku réfléchit un moment. Il pouvait très bien laisser ce garçon là et faire comme s'il ne l'avait jamais vu, mais il était encore jeune et le mot compassion était encore dans son vocabulaire. Il ne pouvait pas le laisser comme ça alors qu'il risquait de se faire attaquer par des chiens à tout moment. Le problème était qu'il ne pouvait pas le soulever, il était trop lourd pour ses épaules frêles, et personne ne voudrait l'aider. Comment faire ?
Il se releva et prit le col du garçon, aux épaules. Il tira de toutes ses forces, au point mort s'ajoutant les vêtements gorgés d'eau. Il parvint à le faire bouger de quelques centimètres, l'enlevant de la boue dans lequel il l'avait trouvé, et continua son labeur. Au bout de cinq minutes, il l'avait emmené jusqu'à l'entrée de sa cachette. Restait à le faire entrer, l'allonger sur le lit aménagé. Il s'essuya le front, trempé d'eau et de sueur, et parvint enfin à l’amener sur la couche.
Dans la pièce sombre, il y avait des meubles et des cubes en fer, des fours de ce qu'il savait. Ils ne marchaient plus depuis très longtemps, et tout était recouvert d'une épaisseur de crasse orangeâtre, mis à part un établi au fond où Aïku passait le plus clair de son temps à bricoler. Dans un coin, il avait mis un tas de vieux chiffons même pas utilisable pour s'habiller histoire d'avoir un endroit où dormir sans avoir à demander l'hospitalité à un refuge. Il y allongea tant bien que mal l'étrange personne aux cheveux blancs et s'assit à côté en l'observant, curieux, la tête légèrement penchée. Pourquoi avait-il une chevelure si particulière ? Et ses yeux, comment était-il ? Et pourquoi ses vêtements paraissaient si anciens ?
Au bout d'un temps qui lui parût une éternité, il finit par se lever pour aller s'allonger sur un vieux tapis pour dormir lui aussi.